theatercombinat | die perser/les perses aischylos/müller/witzmann - 3 mises en scènes avec 3 concepts des «perses» dans 3 villes (genève, vienne, braunschweig), 3 espaces et 2 langues (allemand/français)
langue: français |
delphine
guillaume
jean-louis
anne-frédérique
constantin
nathalie
nicole
paola
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Delphine
Le projet d’apprentissage et de transmission du texte s’est déroulé en trois phases:
Comment avez-vous vécu votre propre apprentissage du texte? Les répétitions particulières avec Claudia?
Au mois de juillet?
Concernant l’apprentissage du texte, je pense qu’il y a eu d’abord une phase de découverte et de surprise en rapport à la façon dont Claudia avait structuré et découpé ce texte et l’avait placé sur les hauteurs. Chose que je trouve à priori très intéressante. J’aime bien tout ce qui est innovateur au niveau du texte et, surtout quand il s’agit d’un texte classique, les façons dont on arrive à le déstructurer et à lui donner une autre forme. Donc j’ai été intéressée, premièrement, par la déstructuration du texte, et n’avais pas d’a priori négatif. A cela s’ajoute encore la compréhension du «pourquoi tel mot est sur tel niveau», compréhension qui apporte encore au texte une couche plus intéressante.
La phase de la réalisation, ensuite, a été pour moi plus délicate: ce n’est pas facile. Et puis très vite on rentre dans un espèce de litanie qu’on pourrait atteindre aussi, mais plus facilement, en ayant un texte normal. Là c’était plus dur parce qu’il faut vraiment donner à chaque segment sa valeur, son importance. Et c’est un gros effort. Donc, c’est vrai qu’on a eu, durant le mois de juillet, des petits moments de découragements, parce que la masse du texte est assez grande, que ça n’allait pas vite au niveau de l’apprentissage, et puis qu’on avait tous le souci d’arriver à faire ce que Claudia nous demandait. C’était un travail assez ardu, assez astreignant.
En tant que membre du collectif, je pense que ni moi, ni aucun de nous n’avons remis en cause le contexte, ni le texte, parce que nous savions que nous étions pris là-dedans. On a eu des moments de tensions, c’est vrai, mais qui étaient davantage liés à toute l’organisation du bâtiment, à notre relation avec la direction, à la façon dont on s’impliquait dans les projets. La question des libertés qu’on avait par rapport au collectif s’est notamment très vite posée, puisqu’il y a une des personnes du collectif qui a du abandonner le projet au bout de trois jours. C’était une personne qui n’avait pas envie de s’intégrer directement dans ce projet-là, peut-être pour des raisons éthiques. Elle n’avait pas envie d’être au service de cet texte là. C’est quelqu’un qui est, je pense, très engagé et qui avait peut-être une idée très claire ou simplement pas envie. Et c’est vrai qu’on n’a pas su trouver ni avec la direction, ni avec les autres un moyen pour qu’elle puisse suivre ce projet sans être acteur ou coryphée comme nous. Au début, ça m’a posé des questions sur la façon de positionner ce collectif par rapport au projet. Et puis après, bon, tout ça s’atténue et on rentre dans le vif du sujet. Claudia est une personne assez exigeante, même très exigeante. Ça a un avantage, en tout cas de mon point de vue: je suis très en confiance, parce que je sais que c’est quelqu’un qui sait où elle va. Donc j’ai l’impression qu’il suffit d’écouter et puis de faire ce qu’elle demande en y associant son caractère et sa manière de faire. En tout cas, le champs dans lequel on doit naviguer est très clair. Après, il y a le problème peut-être des étapes de travail: la question de savoir comment arriver jusque là pour ensuite mettre la deuxième couche, et puis mettre encore la troisième couche. C’est ce qui j’ai trouvé parfois peu évident. Les informations nous arrivent tout le temps toutes à la fois. Et c’est difficile de faire le tri. Certains peuvent saturer. Je pense qu’à ce niveau là, avec une matière si difficile, il faudrait vraiment avoir avec une méthode qui soit plus progressive.
Claudia apporte beaucoup, je crois, parce que, comme je l’ai déjà dit, c’est quelqu’un qui connaît bien sa matière, même si elle se laisse surprendre par ce qui arrive. Donc c’est assez rassurant. Mais peut-être qu’au niveau de la transmission parfois, elle n’est pas assez claire: on ne sent pas toujours qu’on a les moyens d’arriver quelque part, qui nous permette ensuite faire le pas pour aller plus loin. En tout cas, pendant le mois de juillet, il y a eu un moment où je me suis dite: «bon, je vais aller jusque là et puis j’essaierai de faire comme ça», sans plus me dire: «oui il faut que j’aille jusque là, parce qu’après je pourrai faire ça et ensuite ça encore…».
Comment avez-vous vécu l’ensemble de processus de transmission, votre relation avec les choreutes?
Je partirai du tout départ, parce que j’ai été une des personnes qui a distribué les flyers aux gens lors des fêtes des mois de mai et juin. J’ai été quand même assez étonnée de voir que les gens, très vite, se montraient intéressés. On voyait, en tout cas, que, pour eux, c’était vraiment une expérience. Je ne sais pas si c’est le fait d’avoir appelé cela «Let’s experiment democratie», mais il y a eu vraiment la plus part des gens à qui j’ai donné le billet ont relevé leur envie de participer et leur intérêt. Bien sûr, certains n’avaient aucun intérêt, mais ça arrive toujours, c’est comme partout. Donc je me suis dit: «tiens, c’est pas un projet qui tombe comme une goutte dans un océan. Ça peut avoir un retentissement et ça peut intéresser les gens.
On s’est ensuite mieux rendus compte de la masse de gens intéressés, quand on s’est retrouvé chacun avec nos groupes, parce qu’il ont été assez difficiles à mettre en place: il y avait pleins de feuilles à se répartir, 250 personnes à se répartir à 10. Et puis après les premières répétitions, on se rend compte qu’en fait, il n’y a pas grand choses à faire, parce qu’ils font beaucoup le travail seuls. Il faut arriver à leur exposer clairement la technique et la matière sur laquelle ils doivent travailler. La matière du texte et puis la présence dans l’espace, que j’ai aussi beaucoup travaillée: comment être soi-même très impliqué tout en étant dans un chœur, comment arriver à nourrir ça tout le temps, pour ne pas tomber dans la lassitude du chœur, en se disant: «je ne suis qu’un parmi tant, donc autant me cacher» et puis sans être non plus tout le temps un leader, parce qu’on est aussi toujours un peu exaspérant quand on veut tout mener. Donc c’est vrai que j’ai beaucoup travaillé ça avec eux.
Et puis peut-être que j’ai eu un groupe qui très vite s’est bien entendu: Il y a eu une belle cohésion dès le départ. Ils ont très vite travaillé seuls, de manière très autonome. J’ai aussi insisté pour qu’ils se prennent beaucoup en main, entre eux. Et ça a été facilement.
Le jour où j’ai dû les laisser, c’est vrai que ça m’a fait de la peine, parce que j’étais plus là pour être avec eux. Mais je me suis dit que ce n’était pas ça qui allait porter préjudice au travail. Je pense qu’ils ont réussi à continuer à travailler seuls, parce qu’il y avait un réelle cohésion.
Comment vivez-vous la réunion des groupes, les répétitions en commun, votre fusion dans le chœur global?
Il y a eu cette impression de «recommencer», parce qu’on s’est trouvé confronté à d’autres gens. Mais, bon, j’ai de la peine à parler au nom de mon groupe, parce que, du moment où on s’est retrouvé en bas avec les autres, très vite j’ai un peu perdu contact avec lui. Pour deux raison. D’abord, le fait que c’était Claudia qui prenait les répétitions en main. Donc évidemment on n’est plus le moteur, on n’insuffle plus autant d’énergie dans le processus de travail. Et puis d’autre part, parce que nous, en tant que coryphées, on devait absolument entrer dans le chœur général. On n’avait plus cette position de dirigeant coryphée, que d’ailleurs, je n’ai jamais voulu assumer complètement, en disant aux gens: «suivez moi, vous verrez tout ira bien». Au contraire, je leur ai dit: «je serai comme vous, donc surtout ne me suivez pas moi, mais suivez vous tous ensemble».
C’est vrai aussi que, comme on a pris en main pendant presque un mois et demi un groupe et qu’on a essayé de le conduire d’une certaine manière, qu’on a essayé de lui insuffler une certaine énergie, on rentre en collision avec Claudia au début. On se dit: «ouais, mais il ne faut pas faire ça comme ça», ou bien, «elle devrait dire ça maintenant». Ou alors, lorsqu’on est en train de s’en dormir, «il faudrait qu’elle fasse un truc dynamisant». Je reconnais qu’elle fournit un énorme travail et c’est certainement difficile à faire, mais j’ai de nouveau été confrontée à ce que j’avais ressenti en été. Je trouve qu’à nouveau, les informations arrivent en trop grand nombre et tous domaines confondus: elle donne des indications de jeu, puis des indications de détails sur le texte et par dessus elle rajoute une indication d’espace, sur laquelle elle remet une indication de regard. Et tout ça pourrait être un peu plus structuré. Il suffirait que de dire que durant telle répétition on ne donne que tel type d’indications, et qu’on laisse le reste pour un autre jour ou alors qu’on ne donne qu’une indication qu’à la fin de la répétition globale sur ce qu’on aurait voulu. Mais quand tout arrive en même temps – bon c’est très personnel, parce que c’est vraiment relatif à la méthode de travail de chacun – je trouve que ce n’est pas toujours très efficace.
Que pensez-vous du texte d’Eschyle?
De manière artistique, en tant que comédienne qui se confronte à un projet artistique, c’est vrai que ce n’est, a priori, pas le genre de texte vers lequel, personnellement, je me dirige. Parce que je suis peut-être plus prise dans un processus de création, au niveau de l’art, au niveau de mon travail de comédienne. Je préfère me retrouver dans des projets qui sont des projets de création, qui n’ont pas de textes à la base, mais qui travaillent sur un thème sur lequel tout se construit. Donc c’est vrai que je m’intéresse moins facilement à des textes déjà écrits.
Ensuite, par manque de connaissances – sincèrement, j’ose le dire – je connais très mal l’Antiquité. Parce que je manque de culture par rapport à ça, je manque d’intérêt aussi, parce qu’il y a des liens que je n’arrive pas à faire. C’était donc très agréable de découvrir ce texte en travaillant avec Claudia et avec Andreas, aussi, parce qu’ils nous ont apporté un bagage culturel qui nous a permis d’avoir une autre lecture que celle que moi j’aurais eu de ce texte. Donc, j’ai découvert ce texte et – là je me place à un niveau qui est peut-être plus social et politique – j’ai trouvé qu’il s’agit quand même d’un texte de propagande, d’un texte écrit pour les Grecs après un événement aussi important qu’une guerre. Donc même si c’est assez soft, ou léger – c’est à dire qu’il n’y a pas de réelle volonté de dire «ces perses qui nous ont attaqués, qu’est-ce qu’ils étaient méchants …» – lorsqu’on lit tout le texte et qu’on voit tous les adjectifs qui sont utilisés, sur lesquelles on insiste, c’est quand même un joli dosage entre «on s’apitoie sur leur sort», c’est à dire qu’on les voit pleurer, on sent leur douleur, leur confusion, leur tristesse, et puis en même temps on dit «oui, oui, mais vous étiez quand même des prétentieux de penser que vous pourriez attaquer comme ça tout le monde». Il y a quand même cette volonté de dire «vous vous placez toujours d’une manière très glorieuse et nous les pauvres petits grecs, on vous a quand même …». Bref, donc on sent quand même ça au niveau du texte. Et en a repensant l’autre jour, je me suis demandé ce que ça donnerait si on replaçait ça bêtement à notre époque, si, par exemple, on faisait un documentaire sur quelqu’un qui a gagné une guerre. Ce serait un documentaire larmoyant, pendant lequel, tout en montrant des civiles pleurer, des femmes pleurer, on dirait: «oui, mais c’est vous qui avez fait cette guerre, qui êtes à la base de tout ça, donc assumez». Bien sûr qu’Eschyle se place du côté des Perses, mais il ne se place pas que du côté des perses. Il justifie aussi la position des grecs.
Et que penses-tu de la traduction?
C’est vrai, j’en n’ai pas parlé. A priori, c’est aussi un genre d’écriture qui m’est assez hermétique. Ce sont des textes très foisonnants, très riches. Chaque phrase est pleine d’images, de visions, et c’est vrai que quand on manque de faire les liens, ça nous passe au-dessus. Par contrer, effectivement, plus on rentre dedans, plus on comprend les images, et plus on arrive à dire quel mot est rattaché à quoi. Alors on se rend compte que ce sont des textes qui sont très beaux.
Quelle est votre définition de la démocratie? Comment la reliez-vous avec le projet de Claudia?
La démocratie c’est, pour moi, un état de conscience sociale et politique: c’est avant tout un état chez la personne. On est dans un pays, on a le droit de vote, c’est à dire qu’on a le droit de s’exprimer sur une quantité de sujets assez incroyable, mais on se doit de se tenir au courant autant socialement que politiquement de ce que cela veut dire. Donc cela demande un gros investissement de sa personne et une bonne compréhension de la société dans laquelle on vit. Je trouve qu’en ce moment, la démocratie, même si elle se maintient en Suisse, n’est pas du tout assez travaillée en tant que consensus social chez les petits, par exemple. Il n’y a pas de cours de civisme. Pour arriver à une réelle démocratie qui se veut le reflet d’une masse pensante, ou en tout cas qui arrive à avoir un esprit critique, il faudrait donner plus d’acuité ou plus de possibilité aux gens d’avoir cette conscience là plus jeunes. On est, en ce moment, dans une situation où les gens votent parce qu’ils ont vu une affiche avec un personnage célèbre, comme cela s’est fait dernièrement. On a eu des votations sur l’école, sur la réintroduction des notes à l’école. La droite a pu financièrement utiliser des personnages de notoriété publique, comme des chanteurs, Morisot, l’entraîneur de foot, qui disaient «oui, remettons les notes». Et puis, effectivement, ça a passé. Je me soumets à la majorité. Mais j’ai été très peinée de voir le manque d’informations et le manque de connaissances dont faisaient preuve les gens sur ce sujet, même en en parlant avec des amis très proches. Des gens qui ont des enfants qui sont à l’école et qui pensent simplement – je ne leur en veux pas – qu’il vaut faire comme on faisait avant, parce que c’était mieux et puis que ça nous rassure. Alors qu’il y a tout un bagage socioculturel, surtout sociologique, qui fait que le contexte actuel de l’école n’est plus du tout le même qu’avant – mais là je m’élargit sur un sujet que j’aime bien…. Les dernière votations en Suisse étaient vraiment pour moi très significatives de l’état de conscience dans lequel on se trouve en ce moment autant au niveau des étrangers, parce qu’on a voté une loi trop sévère, que sur cette réintroduction des notes à l’école: ça fait 15 ans qu’on est sur une réforme, qu’on balaie en une votation. C’est d’autant plus dommage que, je m’en suis rendue compte en discutant avec les gens, la plus part vote pas manque de connaissance, par peur aussi, et beaucoup par simplicité, en se disant qu’au moins on n’aura pas besoin de se creuser la tête, de comprendre pourquoi on évalue mon enfant comme ça et pas en lui mettant un 4, un 5 ou un 6.
Revenons au projet des Perses qui intitule son expérience «Let’s experiment democracy!». A la base, je l’ai pris comme tout le monde, en me disant qu’on donnait la possibilité à tout le monde de participer à ce projet. C’est, pour moi, la part la plus démocratique de ce projet, parce que même si on donne la possibilité aux gens d’intervenir, le texte est écrit et il est dirigé par une seule personne. A ce niveau-là, pour moi, ce n’est plus un projet démocratique. Il faudrait, pour que le projet soit entièrement démocratique, que l’individu soit, jusqu’au bout, son propre maître, soit partie prenante de ce qu’il dit et de la façon dont il le dit. La démocratie s’arrête donc, pour moi, vraiment au moment où, après avoir proposé à tout un chacun le projet, on rentre dans la matière et que chaque personne est obligée de s’approprier les mots de quelqu’un et d’être, en plus, dirigée par quelqu’un d’autre pour les dire et sur la façon de les dire.
Je voulais revenir sur l’aspect démocratique du projet: il y a aussi quand même tout cet espace de réappropriation par les gens de ce texte et là il y a quand même quelque chose qui se passe, je crois… de démocratique…
Je suis d’accord avec toi qu’au niveau du processus et de l’ouverture, ça correspond tout à fait à une définition démocratique, c’est à dire qu’on donne un sujet, on donne la parole. Donc évidemment, les gens vont approfondir le sujet pour aller jusqu’au bout. Mais, pour moi, un véritable exercice démocratique devrait permettre à chaque personne de faire la synthèse de tout ça et de dire personnellement ce qu’il veut dire. Pour moi, ce serait ça, une vraie proposition démocratique. Même si je reconnais qu’au niveau de la recherche, de l’intérêt, expliquer qu’il y a eu cette démocratie en Grèce à cette époque là, fournit un bagage, qui est positif et qui est tout bonus pour comprendre un système démocratique.
Quelle est votre définition du chœur?
Je vais pas dire que le cœur, c’est un organe du corps, parce que c’est un peu ridicule.
En réalité, je n’avais pas de définition théâtrale du chœur. Parce que je viens d’une formation de danse, chœur représentait avant tout une situation d’écoute dans l’espace et d’initiative personnelle du corps et de son énergie et face à un espace et une structuration dans l’espace. D’ailleurs, quand j’ai commencé à travailler le chœur avec mes choreutes, j’ai beaucoup insisté sur le fait que, quand on est dans l’espace et qu’on regarde d’une certaine manière, on impose une certaine organicité à l’espace. Il faut qu’on l’adopte tous, parce que sinon, ça donne des choses qui sont très différentes. Ça donne un autre spectacle, qui n’est plus un chœur, mais un ensemble de protagonistes dans l’espace, qui chacun racontent quelque chose de différents.
Quand on travaille le chœur, il y a une part de dépouillement. Il faut se dépouiller de beaucoup de choses qui font partie de nous, pour se remplir de l’essentiel qui est une présence, un regard, une ouverture et une conscience par rapport aux mots qu’on dit. C’est un travail de dépouillement et de remplissage par des éléments très ciblés et très simples, qui permet d’intégrer un chœur.
Sinon, le chœur, pour moi, c’est effectivement un ensemble de personnes qui arrivent à créer dans l’espace quelque chose d’identique, d’assez concret et d’assez palpable, pour qu’on ait une vision très claire de ce qui nous est présenté et de la façon dont on doit le recevoir en tant que public.
Et comment perçois-tu la parole de ce collectif qui dit «je»?
Il y a effectivement un espèce de zoom avant/arrière sur sa personne et un «je» qui s’ouvre vers la multitude. Pour arriver à bien dire le texte, il faut arriver à faire ce zoom sur les deux choses. Il faut arriver à conserver la conscience de ce «je», parce que c’est ce dont se compose le chœur, et en même temps être capable de le renvoyer vers tous ceux qui sont autour. Il ne faut jamais se perdre soi-même tout, en renvoyant toujours aux autres. |
stephane, photo: regis golay |
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les perses, photo: regis golay |
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Guillaume
Comment as-tu vécu ton propre apprentissage du texte?
C’était très long, parce que le texte est difficile. Ce qui est surtout difficile, c’est les hauteurs et le rythme, parce que c’est illogique – enfin il y a une logique, mais elle n’est pas banale. Apprendre un texte, c’est toujours ce qu’il y a de plus de chiant, et celui-là il est particulièrement chiant, parce qu’il est difficile.
Comment l’apprentissage du texte s’est déroulé pour tes choreutes?
C’est assez bien allé, parce que je leur ai donné des objectifs précis, chaque semaine une demi page à apprendre. Ils ont bien appris. A la fin, je les ai fait répéter dans le noir, donc ils ne pouvaient plus lire et c’était bien parce qu’ils avaient une meilleure écoute et ceux qui ne savaient pas leur texte ne disaient plus rien et ils en ont eu marre, donc ils ont appris. Je suis content parce qu’ils ont presque tous bien appris. Je pense que c’était aussi difficile pour eux, mais ça s’est bien passé.
Comment vis-tu la réunion des groupes, les répétitions en commun, la fusion dans le chœur global?
En fait, le choc le plus important ç’a été quand on s’est mis ensemble avec le groupe de Jaja, ç’a été une répétition très tumultueuse. Quand on est tous ensemble, c’est impressionnant, mais pas plus à quarante qu’à cent cinquante. Pour moi c’était plus fort quand on était quarante. Quinze, vingt, c’est un groupe que tu peux maîtriser, mais quarante ce n’est pas possible. Et puis on ne parlait pas du tout le même langage avec ceux de Jaja. Ca a pris quelques semaines pour s’ajuster. Jaja a une autre façon de gérer les répétitions. On n’a pas du tout les mêmes règles et je ne comprenais pas comment son groupe fonctionnait.
(par rapport à la relation avec les choreutes): C’est cool. La plupart sont vraiment disponibles. Il y en a aussi beaucoup qui sont partis: au début ils étaient trente et maintenant ils sont quinze. C’est bien, c’est des gens ouverts, disponibles. Il y a même des gens qui ont dit qu’ils n’aimaient pas le texte, par exemple, mais qui ont croché. Ils crochent de plus en plus, même ceux qui étaient réticents. (par rapport à l’aspect physique) Ce qui était assez touchant aussi, c’est par exemple une des choreutes, au début, quand je disais « bougez le bras », elle bougeait le pied et maintenant elle a fait beaucoup de progrès, tous ont beaucoup progressé à ce niveau-là.
Comment décrirais-tu ton expérience de travail avec Claudia?
Ce que j’admire énormément chez Claudia, c’est que j’ai l’impression que son imaginaire n’est pas arrêté par des contingences pratiques – je ne sais pas comment le formuler – je trouve absolument génial de pouvoir fonctionner comme ça. Elle va vraiment au bout de sa démarche, elle l’affirme au maximum. Mais ça veut dire des fois que c’est les autres qui doivent assumer pour elle, du coup c’est très exigeant pour les autres avec qui elle travaille. C’est très très exigeant, mais j’ai rarement rencontré quelqu’un qui va aussi loin dans ses choix et pour ça je suis vraiment très content jusqu’à maintenant de cette expérience. Je trouve aussi que c’est quelqu’un qui a une écoute extrêmement fine sur ce que produisent les comédiens. C’est assez rare. Aussi qu’elle ne renonce jamais à ses trucs. D’habitude, quand tu te heurtes à des impossibilités, tu baisses tes exigences en tant que metteur en scène ; elle, elle ne les baisse pas.
Que penses-tu du texte d’Eschyle?
Je n’aime pas tellement cette traduction, je trouve qu’elle est vraiment très difficile à comprendre. Sans doute qu’elle est plus fidèle qu’une autre traduction plus littéraire, mais je trouve que des fois c’est presque ridicule. Le texte en lui-même, ce qui me touche le plus, c’est le thème, le fait que c’est la première pièce dont on ait le texte, ce genre de trucs plutôt que le texte en lui-même. Parce que la poésie du texte, je n’arrive pas à la percevoir.
Quelle est ta définition de la démocratie? Comment la relies-tu avec le projet de Claudia?
Je n’en sais rien... je peux définir la démocratie, mais je n’ai pas l’impression que... c’est la liberté donnée aux caniches (rires), le pouvoir de la peur. Par rapport au projet, ça questionne plein de choses : comment on arrive à se parler – c’est aussi peut-être ça la démocratie – comment on arrive à s’organiser. Par rapport aux choreutes, par exemples, est-ce qu’on les « materne », est-ce qu’on les gronde quand ils n’ont pas appris leur texte, est-ce qu’on les félicite quand ils le savent bien ou est-ce qu’on les responsabilise ? Est-ce qu’on prend tout le monde ou est-ce qu’on fait pression sur ceux qui sont « mauvais » pour qu’ils partent ou pour qu’ils fassent des progrès rapides ? Par rapport à ça, on n’a pas du tout fait la même chose avec Jaja puisqu’on a obtenu des résultats très différents. Chez elle presque tout le monde est resté, alors que chez moi la moitié est partie.
Quelle est ta définition du choeur?
«Un dragon meurtrier ayant des bras et des navires partout». C’est sûr que ça a des bras et des têtes partout. Peut-être qu’un bon chœur ne peut qu’être un chœur monstrueux... En tout cas ce qui est bien dans ce chœur – et c’est aussi lié à Claudia – c’est que chacun peut vraiment exister en tant qu’individu et très fortement. Chaque personnalité est très affirmée et c’est ça qui est beau. C’est lié à Claudia parce que c’est elle qui a vraiment insisté pour que ce soit un échange entre eux et nous. |
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Jean-Louis
Le projet d’apprentissage et de transmission du texte s’est déroulé en trois phases:
Comment avez-vous vécu votre propre apprentissage du texte? Les répétitions particulières avec Claudia?
La première phase de travail a été assez difficile, j’ai trouvé. Il y a eu toute cette approche du texte il a fallu l’apprivoiser, mais aussi cette manière autre de penser le théâtre. Ce qui était assez difficile pour moi, de prime abord, c’était de rentrer dans cette manière de dire ce texte que je trouvais très raide, assez rêche et qui présentait peu de possibilité d’appropriation.
En plus, le travail avec Claudia est très minutieux. On répète, on répète, on répète beaucoup et puis au bout d’un moment, tu sais plus ce que tu répètes, ce que tu cherches. C’est complètement brouillé. C’était un des aspects que, par moment, je trouvais assez agacent.
Sur la question de la place du «théâtre» je le dis entre guillemets – parce que je sais pas si c’est le bon terme – dans la société ou sur la question de savoir comment faire du théâtre au sein d’une société, je trouvais que Claudia développait, dans sa démarche, des choses assez intéressantes. A ce niveau là, ça m’a ouvert pas mal de portes. Ça a été un déclencheur qui m’a permis de réfléchir autrement, d’essayer d’articuler la pensée autrement sur les questions de fabrication de la représentation ou sur la manière de transmettre quelque chose, de comment s’inscrire dans une ville avec un projet on va dire «théâtral» .
Comment avez-vous vécu l’ensemble de processus de transmission, votre relation avec les choreutes?
Ce travail a eu de particulier qu’on a dû s’approprier cette manière de travailler, cette manière de faire pour la retransmettre. Personnellement, je me suis retrouvé souvent un peu en bascule, parce que je devais retransmettre avec vigueur et conviction quelque chose d’une matière dont il était clair que je ne maîtrisais absolument pas tout. Rien que sur le plan du texte! Il y avait pas mal de choses qui étaient encore obscures. Donc je devais rendre ça, malgré tout, avec conviction, argumenter en faveur du projet, expliquer le pourquoi – et le projet est très étoffé, il a une arborescence vraiment vaste, il demande de connaître l’Antiquité grecque etc et ça s’apprend pas en un mois! Alors, tu balances aux choreutes deux trois trucs, deux trois synthèses que tu t’es faites pour toi-même, mais j’ai trouvé ça assez complexe. Passionnant mais complexe.
Le rapport avec les gens c’était un vrai bonheur. Vraiment, c’était génial d’être confronté à ces gens et de devoir leur transmettre quelque chose, de devoir inventer sa façon de faire, sa façon de dire les choses et de les faire travailler. Je sais que j’ai beaucoup articulé mon travail sur l’aspect physique, parce que – bon ça c’est un sentiment qui m’est propre – j’ai vraiment le sentiment que pour qu’on puisse travailler ce texte, il faut que, physiquement, on soit conscient de son corps, conscient de ses mouvements et de la façon dont on peut bouger dans un espace, être conscient de ce que l’on produit. Parce que ce sont des notions assez abstraites en fait pour quelqu’un qui n’y connaît rien. On lui dit: «faut travailler sur la présence», et ça veut rien dire. Rien que pour un acteur parfois, ça veut juste rien dire, alors pour quelqu’un qui n’est pas du tout dans ce jus là, c’est un peu particulier.
Donc j’ai bien aimé articuler mon travail autour physique et puis, concernant le texte, c’est vrai que je sentais que j’avais plus de peines et de difficultés à le transmettre et à travailler longtemps dessus. Tout ce qui était de l’ordre du rapport au physique, je pouvais passer une heure et demie dessus. Mais sur le texte, au bout d’une heure, j’en avais marre. Alors que Claudia, elle, elle peut nous faire bosser cinq heures uniquement sur le texte. Moi, au bout d’un moment, je trouve que ça suffit, qu’on avance plus.
Comment vivez-vous la réunion des groupes, les répétitions en commun, votre fusion dans le chœur global?
Ça c’est passé de manière assez tranquille. Du fait que Claudia dirigeait la répétition. On était toujours là pour cadrer l’histoire, mais c’était quand même elle qui dirigeait la répétition et qui transmettait ce qu’elle voulait précisément. Parce que c’est sûr que nous, au niveau des répétitions, on était arrivé à un moment où on n’aurait pas pu donner plus, je crois. Avec cette nouvelle phase de travail, c’était le moment qu’elle transmette directement son idée et ses vues sur cette pièce. Donc, oui, pour moi, ça c’est passé assez tranquillement. Et puis je trouvais ça d’ailleurs assez beau de voir tout ce mélange de gens, de voir cette mixité de personnalités, d’âges, cette diversité culturelle, cette diversité de provenances…. Pour moi, le projet est, à ce niveau là, totalement réussi. Il touche vraiment à son but.
Comment décririez-vous votre expérience de travail avec Claudia?
Ce que ça m’a appris, c’est vraiment ce regard, cette manière de penser la «représentation», cette manière de l’articuler et d’avoir une pensée assez vaste qui ne reste pas uniquement fermée sur elle-même, mais qui chaque fois ouvre sur quelque chose. Je trouve ce processus assez dynamique en fait. Pour moi, ça a été assez révélateur.
Après, en tout cas personnellement, ce projet, par moments, m’irrite au plus haut point et, à d’autres moments, m’enthousiasme. Ce qui m’enthousiasme, c’est de voir comment ça prend forme, comment ça se solidifie avec tous ces choreutes, tous ces citoyens. Et ce qui m’irrite, c’est quand on se retrouve de nouveau à travailler, à faire du détail pour la xième fois sur les mêmes choses. Je sens bien que parfois c’est nécessaire. Mais on est vraiment sur un travail à deux vitesses: on fait ce travail seuls avec elle, on met les choses très au clair, l’après-midi et le soir on ne peut absolument pas les appliquer parce qu’on est embarqué dans la masse. Donc on est obligé de suivre les choreutes. Ce double travail là me fatigue vraiment. J’ai l’impression que ça nous prend beaucoup d’énergie, une énergie précieuse, qu’on devrait canaliser, parce que on doit arriver quelque part. On ne peut pas se permettre d’être complètement crevés. On est quand même, malgré tout, des jalons pour les gens. D’ailleurs, là aussi nous sommes dans une situation contradictoire. D’un côté, on est sensés se fondre parmi les citoyens et ne pas être trop visible, mais, de l’autre, on l’est quand même. C’est une position assez délicate, quoi.
Que pensez-vous du texte d’Eschyle?
La première lecture que j’en ai faite, je me suis dit: «Bon, on va de nouveau réanimer des vieilles reliques, qu’est-ce qu’on va faire avec ça, comment transmettre cette histoire». Et je dois avouer que, sur ce plan là, Claudia est perspicace. Elle sait où elle veut aller, elle sait ce qu’elle veut transmettre. Comme je le disais avant, ce projet atteint vraiment son but par sa volonté de transmettre ce texte à des citoyens et de les rendres sensibles aux thèmes qu’il aborde. Mais c’est vrai qu’en le lisant la première fois, j’avais de la peine à y trouver du sens pour moi-même et à trouver du plaisir dans la lecture. Il a fallu qu’on m’y introduise, qu’on me donne des clés et évidemment, au fur et à mesure, ça s’étoffe et puis ça prend du sens. Mais, de prime abord, c’est assez difficile. Et puis je sens aussi que c’est très dépendant de la traduction que tu lis. Celle-là, je la trouvais assez difficile. Alors de temps en temps j’ai lu une autre traduction et je l’ai trouvée plus éclairante. Elle était plus lisible: la langue était plus simple, elle était moins brisée dans la syntaxe, dans la grammaire. Je crois qu’elle était moins respectueuse du grec ancien. Du coup, c’était plus compréhensible, on entrait plus facilement dans les images, on sentait un peu plus ce qui se passait.
Quelle est votre définition de la démocratie? Comment la reliez-vous avec le projet de Claudia?
Alors! J’ai regardé dans le dictionnaire, pour voir. Parce que je sais que j’en avais une idée fausse. La démocratie, je me disais que c’était le lieu de la liberté. Mais en regardant dans le dictionnaire, mis à part les points évidents, la souveraineté du peuple, le fait que le peuple décide des tenants et aboutissants d’une politique, je me suis rendu compte que c’est faux de se dire que c’est le lieu des libertés. Parce que forcément, si la majorité l’emporte, il y a toujours une minorité qui est mécontente par rapport à ça.
Quant au terme de démocratie lui-même, je trouve qu’il a été utilisé dans ce projet-là de manière parfois un peu ambiguë. Ça a été utilisé comme un slogan.
Donc tu ne vois pas forcément de liens?
Si, parce qu’on me les a expliqués, en théorie je vois les liens, c’est dans la pratique que ça été moins claire. Mais l’autre jour Claudia a donné une explication pour motiver un déplacement : une moitié des choreutes devaient faire un déplacement en partant ensemble. Pour cela ils avaient un repère dans le texte. Et Claudia expliquait qu’il ne fallait passe se suivre comme des moutons, même si on devait partire ensemble. L’impulsion devait être une impulsion personnelle. Je trouvais cette explication très parlante et fesant un lien claire avec la théorie. Chacun devait se responsabiliser sur sa décision de déplacement et non pas compter sur l’autre pour cela. En démocratie c’est ce qui devrait se passer, chacun devrait être responsable de ses actes et ne pas suivre comme un mouton…mais là, on touche à l’utopie.
Je trouve malgré que c’est un terme qui est aujourd’hui assez galvaudé. En fait, au bout du compte, on ne sait plus très bien ce que ça veut dire, peut-être qu’il est à réinventer.
Quelle est votre définition du chœur?
Je dirais que c’est un ensemble qui agit dans une dynamique commune et où chaques particules est indépendantes.
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nicole, photo: regis golay
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Anne-Frédérique
Le projet d’apprentissage et de transmission du texte s’est déroulé en trois phases:Comment as-tu vécu l’apprentissage du texte et les répétitions avec Claudia en juillet?
Au départ, je ne connaissais pas très bien le texte d’Eschyle. Et pour apprendre un texte, il faut bien sûr le comprendre. Je me suis donc documentée sur le théâtre d’Eschyle ce qui m’a permis de mieux cerner le texte notamment lors de la première lecture. Néanmoins, certaines références étaient peu claires. C’est en travaillant le texte avec Claudia en juillet qu’il a pris tout son sens. Elle nous a donné des clefs pour mieux saisir les éléments importants tout en nous communiquant la méthode de travail que nous allions transmettre aux choreutes par la suite. Cela m’a beaucoup aidé pour l’apprentissage de la partition. En revanche, l’apprentissage des différentes «hauteurs» selon lesquelles le texte allait être récité ou celui de l’intonation et des pauses s’est avéré plus laborieux.
Et comment s’est passé le processus de transmission aux choreutes?
Nous avons d’abord essayé de nous trouver en tant que chœur, qu’ensemble. Petit à petit, en travaillant ensemble, nous sentions l’esprit de groupe grandir. Ne pas trop réfléchir mais plutôt ressentir devient essentiel. A travers notre travail (marcher dans l’espace et en rythme, parler ensemble), on apprend à se connaître et à être en confiance. Je n’étais pas sûr d’avoir intégré la totalité de ce que Claudia nous avait appris pour pouvoir le transmettre aux choreutes, surtout au niveau de la voix et des hauteurs, mais finalement tout s’est bien passé.
Comment as-tu vécu la réunion des chœurs, ta fusion dans le chœur global lors des répétitions communes?
C’est étrange, car on passe par plusieurs phases. D’abord, en travaillant le texte en tant que coryphée, on fait partie du chœur. Puis, lorsqu’on travaille avec les choreutes en tant que coryphée, on a le sentiment d’être à l’extérieur du chœur. Et finalement, lors des répétitions communes, on fait à nouveau partie du chœur. Ces répétitions créent aussi une ambiance qu’on a pas l’habitude de rencontrer lors d’un spectacle. Tout prend plus de temps, plus d’organisation, mais surtout plus d’ampleur!
Que penses-tu du texte d’Eschyle?
Je ne connaissais pas très bien la tragédie grecque. Je me suis renseignée sur le théâtre d’Eschyle et c’est étonnant de voir à quel point son écriture est actuelle. C’est aussi incroyable d’imaginer que «Les Perses» soit le premier texte de théâtre connu et qu’il date de 2500 ans.
Quelle est ta définition de la démocratie et comment la relies-tu au projet de Claudia?
Le travail que nous effectuons au sein du chœur me fait penser à la démocratie. C’est un travail d’écoute de l’autre et en même temps de soi-même, toujours dans un même but: solidifier le chœur. Ecouter la voix de l’autre tout en gardant sa propre voix me paraît primordial. C’est un travail d’ouverture et de groupe, qui pourrait s’assimiler à ce que cherche à faire la démocratie. D’ailleurs, lorsqu’il y a une décision à prendre dans le choeur, c’est souvent la majorité qui l’emporte!
Quelle est ta définition du chœur?
C’est un groupe de personnes qui essaient d’être ensemble en essayant d’être ouvert et disponible aux autres. C’est un travail, où il faut faire preuve d’une grande générosité pour s’ouvrir aux autres. |
les perses, photo: regis golay
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Constantin
Quelles motivations personnelles vous ont poussé à participer à ce projet?
C’est parce que la pièce des Perses me fascine. J’ai fait pas mal d’histoire à l’école grecque, déjà dans mon jeune âge, et cette guerre continuelle entre les Perses et les Grecs, ça me fascinait. Et puis, je voulais tenter une expérience toute nouvelle, puisque je travaille dans le domaine bancaire. En fait je m’imaginais plutôt un rôle, en costume, mais là c’est tout à fait autre chose. Mais j’ai suivi le processus normalement…
Et comment vivez-vous cette expérience?
Je la vis bien, parce que ça me permet de faire davantage de connaissances. Je ne peux pas dire que je suis timide, mais ça me permet de me présenter autrement, plus allégrement, de casser ce sérieux qui existe entre les individus, en faisant des exercices, en côtoyant des gens: ça ouvre la personne. C’est ça le théâtre. Les exercices de Chine sont pas mal aussi, ils permettent des contacts entre les gens; moi je suis individualiste, alors ces exercices qui font se rassembler, se grouper, ça permet de connaître mieux le groupe.
C’est un peu une forme de démocratie…
Sûrement, oui, c’est un ensemble de gens qui s’entendent bien, qui s’expriment, qui se respectent. Mais le désaccord fait aussi partie de la démocratie, comme à Athènes, chacun a le droit de s’exprimer! Mais je ne vois pas forcément un lien avec cette expérience de théâtre, parce que l’on n’a pas le droit de donner notre avis sur la pièce elle-même: d’autres gens décident pour nous de la mise en œuvre de la pièce. On peut discuter, bien sûr, mais ce n’est pas décider…
Mais comment la définiriez-vous en mots simples, cette démocratie, pour quelqu’un qui ne saurait pas ce que c’est?
C’est un ensemble de personnes, du peuple, qui prend des décisions, et la majorité domine.
Vous êtes un des rares hommes du contingent, comment le prenez-vous?
C’est ma première expérience de ce genre, mais d’être une minorité, ce n’est pas désagréable! On apprend à vivre dans un groupe de femmes, j’ai pas l’habitude. On voit comment elles réagissent, comment elles se comportent. Elles prennent des initiatives: j’en doutais, avant. Elles sont très méthodiques. Maintenant pourquoi il y a plus de femmes dans ce projet… peut-être qu’elles s’ennuient à la maison, et qu’elles veulent sortir pour vivre une expérience! |
romaine, photo: regis golay |
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Nathalie
Quelles motivations personnelles t’ont poussée à participer à ce projet?
Avant même de connaître le projet j’avais envie de faire des cours de théâtre ou plutôt d’expression scénique. Je pensais que c’était un apprentissage qui manquait dans ma vie. Savoir comment maintenir son corps, mieux gérer ma communication gestuelle et orale. C’est là que j’ai entendu parler du projet des Perses, et je me suis dit ben c’est une bonne occasion pour m’initier au théâtre. Le texte d’Eschyle m’intéressait aussi, comme j’aime bien la culture gréco-romaine. Et troisième raison: j’étais sensible au discours quelque peu citoyen, démocratique, le fait de rassembler des citoyens autour d’une activité, je suis sensible dans mon domaine, les arts plastiques, à cette problématique de faire venir des gens au musée, cette problématique citoyenne, alors voilà.
Une question de culture populaire?
J’estime pas que ce soit de la culture populaire, j’ai l’impression que le projet n’est pas simple d’accès, après on crée des mécanismes pour faire venir des gens, comme pour les expositions, j’aime pas les expositions qui sont faites pour le public, je préfère qu’on fasse quelque chose de qualité mais en créant des mécanismes pour essayer de faire venir les gens. Je sais que ce projet-là fait venir des gens qui ne sont pas issus du milieu théâtral et par contrecoup ça fera venir des gens qui ne vont jamais au théâtre, des connaissances des participants.
Comment vis-tu le projet ?
J’ai été très étonnée parce que je voulais pas quelque chose qui soit trop «théâtre théâtre», parce que je suis assez égoïste à ce niveau-là, je voulais faire un apprentissage assez général sur le corps, et ça correspondait bien aux cours de Jean-Louis.
Et l’expérience d’être dans un chœur?
D’abord j’étais étonnée de l’accueil, pour faire partie d’un groupe formé d’individualités. Je pense qu’il y a une énergie particulière dans le fait de marcher ensemble, peut-être, mais on est surtout sensible à la présence des uns aux autres, on est chacun sensible au fait de faire partie d’un groupe.
Et alors qu’est-ce qu’on ressent dans ces conditions, quand on dit le texte tous ensemble?
Je vais pas te mentir c’est pas spécialement fort. Par contre j’apprends, parce que je suis très individualiste, c’est une des premières fois depuis longtemps, avant je faisais du chant, donc j’avais aussi l’impression de faire partie d’un groupe, mais j’en ai longtemps plus fait, mais là j’ai vraiment l’impression de faire partie d’un groupe.
Quelle est ta définition personnelle de la démocratie?
C’est un système politique qui confère la souveraineté au peuple, ça c’est au sens strict. J’aime pas tellement le fait d’user à tout bout de champ le mot «démocratie, démocratie»… par contre ce que je peux dire c’est qu’à notre époque post-moderne c’est plus la souveraineté aux individus que la souveraineté au peuple, donc voilà… c’est pour ça que j’étais sensible à ce projet, c’est le fait de rassembler des citoyens autour d’une activité. On fait beaucoup de manifestations éphémères en rassemblant le peuple, mais ça aboutit à rien, alors que là ces gens qui pendant trois mois se voient deux fois par semaine ça permet vraiment de créer une dynamique de groupe. C’est un peu… moi-même je suis issue du post-modernisme, je pense plutôt en termes de droits personnels, mais on oublie que la démocratie c’est aussi le peuple, moi citoyen en tant que membre d’un groupement. C’est pour ça que j’apprécie ce projet, c’est là que je vois le lien avec la démocratie et que ça me fait réfléchir. Parce que des fois j’ai un peu de peine avec ce terme.
Quelle est ton attirance pour le texte d’Eschyle?
Comme je l’ai dit j’ai étudié le latin, l’histoire romaine, l’histoire grecque un peu, mais je connaissais pas du tout le texte d’Eschyle avant le projet. J’aime beaucoup ces grands élans de sentiments, cette exacerbation des sentiments. Et quand on nous parle de catharsis, justement le fait d’utiliser des termes comme ça, enfin on déverse notre énergie quand on crie, c’est un défouloir quelque part. Je réfléchis, mais j’essaie de voir s’il y a des choses qui m’ont… on étale souvent des sentiments, mais des sentiments qui sont heureux, de bonheur, mais assez rarement de tristesse comme ça. Alors que les sentiments de bonheur, de joie sont extravertis non?
Quelle est ta définition du choeur, quel rôle joue-t-il?
C’est un peu la colonne vertébrale. Ouais c’est lui qui prend toutes les formes, il a la forme omnisciente, c’est ça qui est intéressant on peut pas le définir, des fois on avait du mal à comprendre le texte on se disait le chœur il est sensé déjà savoir ce qui c’est passé, alors voilà c’est aussi des fois la voix de la raison, il a tellement de rôles dans la pièce que c’est difficile de le définir. C’est une colonne vertébrale caméléon et en même temps essentiel, conseiller, et sans lui les autres personnages seraient juste des figurants isolés.
Et les niveaux de voix, comment appréhendes-tu ça?
En fait j’avais vu le film de Woody Allen Maudite Aphrodite, où il y avait le chœur grec qui intervient de manière épisodique et c’est un peu les mêmes niveaux de voix donc j’ai pas été surprise. Euh, alors ce qui est marrant c’est que ben voilà c’est une pièce qui est en formation, enfin, j’ai eu d’abord Jean-Louis, puis Anne-Frédérique, c’est très différent leur manière de faire, d’appréhender : les silences, les temps de pause, c’est difficile de s’adapter. On allait très lentement avec Jean-Louis, donc les mots prenaient une résonance particulière, et puis quand je vois comment les choses avancent maintenant on va de plus en plus vite, les silences on savait pas trop comment les gérer, maintenant ça se gère par les mouvements de personnes. Donc à chaque fois on traverse la pièce, il y a chaque fois des mouvements qui nous indiquent les temps de pause à faire. Mais en général je trouvais important que ce soit lent puisque le mot ou les phrases n’ont pas d’intonation particulière avec ces niveaux de voix, les phrases restent très neutres, alors c’est important qu’on entende bien les mots.
J’ai encore maintenant l’impression qu’on débroussaille, mais je pense que ça ne peut que donner bien, avec autant de personnes et le spectateur qui se retrouve automatiquement pris dedans. |
les perses, photo: regis golay
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Nicole
Quelles motivations personnelles t’ont poussée à participer à ce projet?
J’étais attirée par le Matin bleu, j’adorais le journal, je l’ai mangé pendant un ou deux mois. Et j’ai vu l’article dedans sur les Perses, j’ai dit c’est complètement autre chose que mon boulot dans le business, parce que je travaille dans un bureau. J’ai pensé ça va grandir mon horizon, de savoir quelque chose d’artistique…
Et c’est ce que tu as constaté? Comment vis-tu maintenant le projet ?
J’étais hyper choquée quand j’ai vu la démonstration, c’était très… parlé, j’attendais plus un music-hall, plus moderne. J’ai hésité mais j’ai pensé tu vas de A à Z et tu restes.
Ton opinion a-t-elle changé depuis?
Je me suis habituée, je trouve plus si rigolo qu’avant, mais à mes amis je raconterais jamais ce projet, j’ai encore un peu la honte, j’arrive pas trop à m’identifier à ce projet mais je reste sur le oui jusqu’au bout.
Quels sont tes doutes?
C’est vraiment pas mon style (prononciation anglaise). Tu as vu le théâtre du Concours Electre? C’est quelque chose de particulier, pas moderne ni ancien mais c’est un style que j’aime pas. Je suis plutôt Hair, ABBA, flower power… Là j’ai de la peine à suivre les mots, je les comprends pas. J’ai pas appris trop la philosophie, l’histoire des Perses, je me suis jamais intéressée.Je me fous des choses philosophiques, ça me prend pas, je les comprend pas.
Mais à part la pièce c’est un énorme enrichissement avec la relaxation, les exercices qu’on fait avec Delphine, on se touche, faire connaissance avec les gens, voir un autre monde que le mien. C’est l’occasion de faire connaissance avec des Genevois, des gens de langue française. Ce n’est pas mal d’apprendre le français en jouant, même si c’est pas le français normal…
Quelle est ta définition personnelle de la démocratie?
Je vois pas de lien avec la pièce, je peux pas te dire pour les Perses. La démocratie c’est le vote libre, chacun peut s’exprimer. C’est cool, c’est bien, c’est la Suisse.
Aujourd’hui c’était particulier: on a fait la répétition sans Delphine, on peut dire que c’est la démocratie pure, mais quand elle est là nous on la suit, on l’accepte, c’est elle la cheffe. Elle nous laisse nous exprimer, mais on la suit pas mal. Je veux pas mettre en jeu mon personnage, mon opinion, je suis contente qu’elle me dise comment faire. C’est positif. Je veux pas mettre trop mon cerveau là-dedans.
Et comment vis-tu le travail en groupe, en chœur?
J’avais jamais vécu ça, c’est très positif, d’être avec d’autres gens. Vu que je le fais dans mon temps libre, je me sens libre de venir ou pas, je le fais dans un contexte différent, je suis pas enfermée, si je veux je viens pas, sinon je viens plus. C’est très relax. |
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Paola
Quelles motivations personnelles vous ont poussée à participer à ce projet?
D’abord mes études classiques, c’est tellement rare ici de trouver l’occasion de voir une pièce grecque, et maintenant il y en a deux coup sur coup, c’est exceptionnel! Je serais de toute façon venue voir.
En plus, c’est extraordinaire comme expérience, parce qu’au fond, beaucoup de nous ont envie de jouer du théâtre, tout en sachant qu’ils n’ont pas les capacités pour en faire, alors que le chœur, ici, même s’il donne un travail épouvantable et que c’est très prenant, c’est quand même plus abordable.
Je vois encore l’intérêt d’être en groupe, de voir comment cela se constitue: certains se mettent en avant, critiquent, ils prendraient volontiers la place de Chine! Le groupe généralement est très soudé, mais ce soir j’ai l’impression qu’il y a une tension, c’est très intéressant. On a beaucoup de chance avec Chine, elle est extraordinaire, je suis en admiration devant ses capacités.
C’est vraiment un privilège de pouvoir vivre cette expérience, et je pense que si on avait pas du plaisir on partirait…
Quelle est votre définition personnelle de la démocratie?
En ce moment je serais plutôt pour une dictature, vu comment vont les choses. La démocratie, c’est d’abord avoir un sens civique, être responsable, tous, pour pouvoir participer au gouvernement.
Vous voyez un lien avec la pièce, la mise en scène?
En ce moment pas du tout mais il faut que je relise bien le texte. Le lire comme ça comme il est, coupé, récité, c’est très difficile à comprendre. Il faut que je le lise une fois dans une traduction normale.
Comment vivez-vous cette expérience?
Je la vis très bien, parce que Chine nous la fait vivre très bien. C’est étonnant, parce que ma profession m’a plus fait gérer des groupes, et donner des ordres, mais je trouve agréable d’obéir, je regrette les personnes qui interviennent, ça me dérange.
Vous avez des doutes?
Non, c’est plutôt des points d’interrogation. Je sais que Chine sait où elle nous amène, donc je la suis, je fais confiance. Je sais pas comment le public va recevoir la pièce, mais ce n’est pas préoccupant: on est trop anonymes dans le projet, trop fondus dans la masse! Je trouve ça très excitant comme projet.
Pour la question des répliques en allemand, je trouve que ça fait très élitaire comme spectacle: déjà je pense que le concept est pas très populaire, qu’il attirera pas tout le monde. Par contre c’était très beau, c’était fabuleux d’entendre cet allemand comme une musique! |
les perses, photo: regis golay
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cécile, photo: regis golay
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