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Le courrier | Paru le Samedi 29 Juillet 2006
Claudia Bosse : Choeur à l'ouvrage
SANDRA VINCIGUERRA
La metteure en scène allemande a convié cinq cents Genevois à jouer le choeur des «Perses», la tragédie antique d'Eschyle qu'elle crée entre Genève et Vienne.
«Peut-être, c'est un peu chiant comme ça, non?» Claudia Bosse pense à voix haute, regarde intriguée la dizaine de comédiens disséminés dans la salle vidée de ses gradins. Epuisés, ils tenteront une dernière fois de trouver le ton, le rythme, la justesse avant la fermeture des portes. Durant une semaine, la metteure en scène allemande a ouvert au public les répétitions des Perses d'Eschyle, le spectacle qu'elle crée et qui sera joué en novembre au Théâtre du Grütli à Genève. L'équipe est anxieuse: dans peu de temps, ces quelques acteurs du coin, transformés en choryphées ou chefs de choeur, devront transmettre leur expérience du texte et du corps à cinq cents Genevois engagés dans l'expérience. Certains conscrits assistaient d'ailleurs déjà aux répétitions, qui assoupi qui enthousiaste. Claudia Bosse, elle, est confiante, carrément emballée: «Je ne sais pas comment ça va se passer, mais je suis convaincue que le résultat sera très intéressant.» A n'en pas douter: alors que les participants devraient être plus de cinq cents, la jauge du public sera fixée à cent spectateurs. Histoire de déséquilibrer un peu les normes du théâtre.
AFFAIRE D'AUTORITÉ
Ce sont ces «actes autoritaires» qui lui permettent de faire ce métier explique, affable, la trentenaire installée à Vienne. Des spectacles de cent heures aux immenses no man's lands occupés, Claudia Bosse aime depuis toujours ce qui fait «frottement» avec les règles de la scène, avec les principes immuables de l'espace et de la durée. «Je me suis demandé ce que j'allais faire de cette black box du Grütli, si petite comparée aux espaces dans lesquels j'ai travaillé, et il m'est venu l'idée de la remplir complètement, comme ça on ne la verra plus.» «On veut faire de cette maison un lieu de recherche, d'expérimentation et de questionnement des méthodes. Claudia, avec son attitude tranchée, sa générosité et son côté très humain, apporte une musculature à ce projet», commente, passionnée, Maya Bösch, nouvelle codirectrice du Grütli avec Michèle Pralong. «Avec elle, j'ai appris un regard, la nécessité de se positionner en tant que personne et en tant qu'artiste», ajoute-t-elle au portrait de son invitée, évoquant son expérience d'assistante et de comédienne auprès de la metteure en scène. Au final, et après avoir créé plusieurs spectacles à Genève, Claudia Bosse sera l'artiste associée du Grütli durant dix-huit mois. Regards mauvais, sourires en coin ou excitation, le choix n'est pas passé inaperçu dans le milieu théâtral, mais que l'on soit d'une école ou de l'autre, la lecture est la même: les post-brechtiens sont de retour à Genève. A l'occasion du cinquantenaire de la mort du dramaturge allemand, la nomination de Claudia Bosse tient presque du symbole.
UNE HISTOIRE D'ÉCOLE
Elle rit volontiers, et se cache le visage: «Est-ce que ça a vraiment un intérêt: je veux bien, mais vous ne connaîtrez pas. Je viens de Salzgitter, c'est une petite ville à la frontière avec l'Allemagne de l'Est, célèbre durant le Troisième Reich pour ses usines. Quand j'y ai grandi, il n'y avait absolument rien à y faire.» Sauf aller à l'école où justement on monte des pièces: «Déjà, je me disais que le metteur en scène – qui était notre enseignant – ne profitait pas assez des énergies qu'il avait à sa disposition». Dans le même lieu, à l'âge de seize ans, elle signe sa première réalisation Monsieur Bonhomme et les incendiaires de Max Frisch. «C'était clair, je voulais être metteure en scène, même si aujourd'hui, en relisant ce texte...» Elle secoue la tête, incrédule. Dès qu'elle peut, donc, elle sillonne les scènes germanophones en tant qu'assistante à la mise en scène, jusqu'à ce qu'elle entre à la prestigieuse Haute Ecole d'art dramatique Ernst Busch à Berlin. Là, elle côtoie les vieux de la vieille, découvre l'orthodoxie brechtienne, apprend au contact de très grands noms des scènes européennes comme Heiner Müller ou Manfred Karge.
Pourtant, dès 1996, il lui devient difficile de continuer dans la voie d'un «théâtre institutionnel». Elle crée le theatercombinat, une compagnie installée aujourd'hui à Vienne. S'ensuivent installations et projets gigantesques, comme la performance Belagerung Bartleby au Hebbel Theater de Berlin pour laquelle elle blanchit littéralement murs et sols d'un théâtre et transforme les spectateurs en copistes, les comédiens en dormeurs, le tout une centaine d'heures durant. On pense aussi à Palais Donaustadt, festival de films, danse, concerts, discussions dans un espace industriel à ciel ouvert de 10 500 m2. Et le texte dans tout ça? Claudia Bosse avoue en avoir eu assez. C'est même carrément la crise durant quelques années.
COMMUNAUTÉ D'INTÉRÊTS
«Dans la performance pure, la production exige des moments qui ne sont pas toujours agréables. Avec les années, créer devient chaque fois plus cher, réclame un engagement quelques fois démesuré», se justifie-t-elle. Et pourtant, ces jours, on la découvre aux prises avec la scène, les mots, beaucoup de mots, anciens et dans une langue qui n'est pas sa langue maternelle. «Oui, parce que je construis mes travaux en contradiction avec les précédents, j'ai besoin de défis.» La metteure en scène ne masque pas sa critique: «Aujourd'hui, on opère une réduction du sens du texte: si à la fin d'une phrase il y a le mot triste, toute la phrase portera l'expression de tristessse... ça manque de finesse, d'intelligence.» Elle confesse une certaine immodestie, «mais, dit-elle, j'ai une bonne intuition du texte et de la manière de le dire pour qu'il y ait prise de conscience de tous les participants, comédiens et spectateurs.»
Sans surprise, ce qui intéresse Claudia Bosse c'est toujours une forme de politique. «Dans la vie quotidienne, nous obéissons à des contraintes que nous ne considérons plus comme telles, pis, que nous considérons comme une liberté. Le théâtre me permet de poser d'autres règles, explique l'artiste. Avec ses propres moyens, il est une contre-image de ce qui se passe dehors.» Le média a valeur révolutionnaire: «Les citoyens spectateurs soumis à un régime différent participent à ce changement de règles et pourraient continuer ce questionnement une fois sortis du théâtre.» «Nous voulions cette attitude qui vient du théâtre et qui va vers le monde», se réjouit Maya Bösch. Mais la metteure en scène allemande de conclure, en riant et avec son expression favorite: «Tout ça c'est quand même méga-compliqué à réaliser!»
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